Par où commencer ?
Je suis née à Arlington le 18 janvier 1910. Mon père était un juge très respecté de la bourgade, George Randall, qui avait emménagé avec ma mère à Arlington pour s'éloigner de la capitale, dans un endroit plus paisible...
Ma mère ? Elle est morte en couche, hélas. J'ai donc été élevée et éduquée par la mère supérieure de la paroisse, une femme droite, pieuse et bienveillante. Elle m'inculqua les valeurs de la Sainte Religion, et les vérités des textes sacrés. Je resta très imprégnée de cette éducation religieuse, et je continue d'être une fervente pratiquante aujourd'hui, si bien que certains me disent superstitieuse. Moi, je pense juste qu'ils n'ont pas la foi et qu'ils ne trouveront pas la paix devant Saint Pierre.
J'ai aussi reçu des cours de secrétariat, mais père ne voulait pas que son unique fille soit une simple secrétaire.
A mes dix sept ans, je fus promise à un procureur jeune et ambitieux que mon père prit d'affection et qu'il voulut que j'épousasse. Je ne connaissais rien aux choses de l'amour, mais Mère supérieure m'avait appris à être une bonne épouse. Ce que je fis pendant les dix huit années suivantes.
Pendant ces années, je fus reçue à l'Université d'Oxford, ou peu de femmes étaient admises. Je fis des études de droit, mais ma vocation se tourna vers les archives, passionnée par la conservation des histoires écrites par des milliers de mains, avec des milliers de mots. C'était une part de l'histoire de la vie quotidienne des citoyens que je protégeais, et ce fut pour moi une tâche où j'excellais, je me sentais comme gardienne d'une part d'Histoire de la nation britannique.
Suite à mes études, je reçu une offre de poste au très réputé British Museum.
Mais je fus forcée de refuser cette offre, suite à la naissance de ma fille, Benedicte. Elle mourra d'une septicémie à l'âge de sept ans. Ce fut une tragédie dans ma vie, mais Dieu m'aida à surmonter cette épreuve. Après cet événement, je n'accoucha que d'enfants morts nés, à trois reprises.
Je pense que j'ai failli à mon devoir en ne donnant aucun enfant, aucune descendance à mon mari, et je ne lui en veux pas d'avoir eu quelques bâtards illégitimes en dehors de notre mariage. Tel était mon châtiment.
Je n'ai jamais cherché à retrouver du travail, mon mari ayant assez de biens et de rentes pour nous deux. Ainsi, je pus m'investir énormément dans les activités religieuses à Londres, et mon mari et moi étions un couple exemplaire pour toute la paroisse. C'était ma fierté, à défaut de ne pouvoir être mère.
Malheureusement, mon mari fut emporté progressivement par une tuberculose qu'on ne put jamais soigner. J'ai porté le deuil, et suis restée huit mois à Londres. Puis j'ai pris la résolution de retourner à mon village natal, que je n'avais pas revu depuis dix-huit ans.
Mes proches tentaient de me convaincre de ne pas y retourner, car ils connaissaient bien la réputation de ce village, et j'étais importante pour eux à Londres. Ils étaient toujours étonnés qu'une femme aussi raffinée que moi soit issue d'un tel village.
Mais mon chagrin est tel que je ne peux rester plus longtemps dans cette ville, où la solitude et le manque de repères me pèsent. C'est ainsi que je décida de retourner à Arlington, espérant retrouver mes amis d'enfance et surtout la demeure de père intacte et toujours à mon nom...