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 Quand on a que la mort

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Lansa RandallLansa Randall

MessageSujet: Quand on a que la mort   Quand on a que la mort Icon_minitime1Mar 3 Mai - 14:55
Tout était resté intact dans la demeure. La même odeur des pierres vieillies par le temps et l'humidité, les mêmes immenses poutres en bois soutenant la charpente du toit, la même cheminée auprès de laquelle son père fumait sa pipe en lisant...Les mêmes croassements lugubres des corbeaux lorsque venait le crépuscule et tous les bruits nocturnes qui rappelaient que l'on était bien mieux à l'intérieur que dehors...

Tout se passait comme si elle n'avait jamais quitté son village natal, qu'elle se retrouvait dix-huit ans auparavant. Mais une chose manquait, ou plutôt une seule personne : son père.

Depuis son retour, Lansa errait dans la maison, répétant exactement les mêmes habitudes. Notamment ce moment avant l'heure du coucher.

Lansa finissait de souper, silencieuse et seule à cette grande table. Le bruit régulier de l'horloge et le vent soufflant parfois contre les murs et les fenêtres de la demeure, étaient les seules choses que l'on pouvait entendre.

Une fois que le repas était passé, Lansa se rendait dans le salon. Elle prenait délicatement l'un des seuls vinyls qu'elle possédait, un cadeau de la Mère supérieure qui l'avait éduquée : un chant grégorien de Ave Maria, d'un choeur de la cathédrale de Paris

https://www.youtube.com/watch?v=fpRrf6ZwSRc

Lorsque la musique commençait, la veuve se dirigeait vers le bureau de son feu-père pour se saisir du Nouveau Testament. Puis elle revenait au salon et s'installait sur un des canapés après avoir allumé un feu.

Enveloppée d'un vieux châle, elle fixait le feu. Cette flamme dansante et étincelante, qui n'avait pour liberté que de se répandre sur des bûches, dans un cadre strictement défini. Une flamme qui avait pour seule échappatoire d'être avalée et recrachée par le conduit, puis répandue dans les airs, comme si cette flamme n'avait jamais existé, et dont personne ne se serait doutée de son existence. Ainsi, si le feu à l'état brut était condamné à cette triste et éphémère existence, qu'en était-il de ce fameux « feu » qui jaillissait en l'Homme ?

Il redeviendrait poussière, avalé et recraché par la mort, puis répandu dans les souvenirs.

Tous les soirs, Lansa lisait un chapitre ou deux du Nouveau Testament ; pour se rémémorer quelques passages importants à ses yeux.

Posant son index sur la ligne, elle commençait à lire d'une voix basse :

« Marthe dit donc à Jésus : Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je sais que tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu vous l'accordera.
Jésus lui dit : « Votre frère réssucitera. »
-Je sais, lui répondit Marthe, qu'il réssucitera lors de la résurrection, au dernier jour.
Jésus lui dit « Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra ; et quiconque vit et croit en moi... »

La voix de Lansa se coupa nette. Un chagrin terrible vint enserrer ses cordes vocales et toute sa gorge, l'empêchant de produire d'autres sons que des sanglots. Une goutte tomba sur la page du livre, et alors la veuve passa sa main sur ses joues pour essuyer les larmes. D'une voix encore plus triste, elle reprit sa lecture :

« Et quiconque vit et croit en moi, ne mourra point pour toujours. Le croyez-vous ?
- Oui, Seigneur, lui dit-elle, je crois que vous êtes le Christ, le Fils de Dieu, qui devait venir en ce monde. »

Elle continua de lire d'une manière un peu plus froide la fin du chapitre, puis ferma le livre et le posa sur la table basse du salon. Puis pendant encore un long moment, elle demeurait devant le feu, silencieuse et figée. Son regard se perdait dans les flammes, comme un fou chercherait de manière hasardeuse l'issue de sa cellule. Et comme le fou, Lansa ne pouvait sortir de sa cellule, de sa solitude.

Après une heure passée, complètement prostrée devant la cheminée, elle se leva enfin et étouffa le brasier.

Pour rejoindre sa chambre, Lansa devait traverser un couloir, au bout duquel se trouvait la chambre de son père. Depuis qu'elle était revenue, elle n'avait pas encore trouvé le courage de pénétrer dans cette pièce. Elle s'arrêtait simplement devant la grande porte brune et la regardait. Cette porte ressemblait à une ombre imposante et effroyable qui dominait sur tout le reste et rappelait inexorablement à Lansa sa propre finitude.

Elle rejoignit finalement sa chambre, et attrapa du bout des doigts son chapelet. Elle se mit sur le côté de son lit et s'y agenouilla. Elle joignit ses mains, enserrant de toutes ses forces son chapelet, et commença une prière.

Une prière pour cette femme disparue, une future mère dont elle avait fait la connaissance et qu'elle aurait aimé sauver.
Une prière pour le mari de cette femme, l'adjoint du maire, dont l'état de santé n'était pas certain.
Une prière pour les blessés des bombardements de Londres.

Et un appel au secours.

« Seigneur Tout Puissant, donne moi ta force. Déjà huit mois que je fais le deuil de mon mari, et son visage me hante encore. Je ne puis dormir sans rêver de lui, aux côtés de ma fille. Ma si petite fille. Pardonne-moi de douter de Toi, et tes épreuves. Pardonne-moi, mais je ne puis comprendre pourquoi suis-je toujours de ce monde. Une mère ne devrait pas enterrer sa fille. Une épouse ne devrait pas enterrer son mari.

Que me réserves-Tu ? Quels pêchés dois-je expier pour me délier de cette peine ? Je ne cèderai point à la Colère ni même à l'Envie.

Je marche seule dans les Ténèbres, et je t'aperçois, Seigneur. Je marche en suivant ta lumière transcendante... »

Elle releva doucement la tête et fixa la croix du christ au dessus de son lit. Son visage se décrispa légèrement, et elle finit :

Aide-toi, et le Ciel t'aidera. Amen. »

Elle fit le signe de croix et se releva, elle embrassa la croix de son chapelet avant de le remettre à sa place sur la petite commode.

Puis elle se mit dans son lit et fixa le plafond, jusqu'à s'endormir à point fermé.
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Stephen L. WarnerStephen L. Warner
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MessageSujet: Re: Quand on a que la mort   Quand on a que la mort Icon_minitime1Mer 4 Mai - 1:39
Superbe histoire
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Shaw F. WarnerShaw F. Warner
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MessageSujet: Re: Quand on a que la mort   Quand on a que la mort Icon_minitime1Mer 4 Mai - 11:43
Touchante histoire.
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Mimi710Mimi710

MessageSujet: Re: Quand on a que la mort   Quand on a que la mort Icon_minitime1Mer 4 Mai - 13:07
Une histoire des plus belles, montrant l'une des faces les plus douloureuses de la vie...
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MessageSujet: Re: Quand on a que la mort   Quand on a que la mort Icon_minitime1
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Quand on a que la mort

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